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                      Aubergenville, l'emblème éternel de la banlieue qui court

Debout dans la rame qui brinquebale, un voyageur commente le coup de sifflet de l'arbitre, lors du match de la veille. Soudain, il se précipite à la vitre : dans le train d'en face, il y a sa femme, qui brandit un tricot. Au-dessus des rails, le couple a cette touchante conversation amoureuse : « Il y a du veau froid au frigidaire ! J'ai fini ton chandail ! A demain ! » Et puis les trains repartent, l'un vers Paris, l'autre vers Aubergenville (Yvelines). L'amateur de veau froid (campé par Coluche) et la tricoteuse passent leur vie à se croiser... à travers les vitres des trains de banlieue. Première satire sociale des cités dortoirs portés à l'écran « Elle court, elle court la banlieue » (de Gérard Pirès, en février 1973), première satire sociale des cités dortoirs portés à l'écran, a été tourné à Aubergenville, au cœur de la cité d'Acosta, qui sortait tout juste de terre. Marlène (Marthe Keller) et Bernard (Jacques Higelin) cherchent un nid pour abriter leur passion naissante, loin du tumulte parisien. Ils débarquent à Aubergenville, au milieu de rien. « Ça sent bon ici. C'est l'usine de raviolis d'à côté ! » : amoureux et enthousiastes, ils se fabriquent un petit paradis, fait notamment de dîners aux chandelles sur des cagettes, au milieu du salon. Puis ils découvrent la vie de la cité. Tout y est : le ballet des mobylettes devant l'immeuble, la cavalcade des mères de famille dans les escaliers, pour déposer les gosses chez la nourrice (« Vous êtes pas enceinte au moins ? Parce qu'il n'y a plus de place. Peut-être dans deux ans... »), le bus attrapé à la volée pour sauter dans le RER de 6 h 25. Et puis Marcel, le voisin qui déteste les jeunes : un Robert Castel impayable en caricature de CRS acariâtre. Quarante ans ont passé depuis cette peinture du triptyque « métro-boulot-dodo ». Rue des Fleuriottes, dans la barre d'immeuble qui a accueilli le tournage, Andrée, 73 ans, se souvient : « Au moment du tournage, j'habitais un peu plus bas. J'ai vu pousser la résidence au milieu de la plaine maraîchère. Ecole en préfabriqué et minuscule coopérative : il n'y avait que ça. Le film a dénoncé des problèmes dont personne n'osait parler. » Ce film, Gisèle, 84 ans, l'a vu trois fois. « J'ai travaillé onze ans à Paris en vivant ici. Moi aussi je prenais le bus à d'Acosta. Les trois quarts du temps, il arrivait en retard et le RER était déjà parti... J'ai quitté mon travail à cause de ça. Je ne supportais plus de me gâcher la vie. » Marlène, l'héroïne du film, a tenté de sauver les meubles aussi. Alors que son couple était en pleine dégringolade, laminé par la jungle des embouteillages et l'odyssée des transports en commun, la jeune femme avait demandé une mutation dans les Yvelines. Des années plus tard, elle est enfin nommée dans une usine de Mantes (Yvelines). Détail qui parachève la quadrature du cercle : elle vient juste de retourner vivre à Paris...  

Le Parisien

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